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Dirty MJ, par John Wick.

Conseils et Inepties d'un Maître du Jeu

Samedi 15 Mars 2014

  Voici un article sur le livre – ou plutôt le livret... - titré Dirty MJ (Petit manuel de MJ tordu), de John Wick. La couverture donne le ton : fond noir, os croisés comme pour un drapeau pirate, le dé à 20 faces remplaçant la classique tête de mort. En-dessous, un slogan : "vos joueurs vont souffrir...et ils en redemanderont !". Ca commence fort, et les premières questions arrivent...les joueurs n'aiment pas vraiment souffrir, et si cela fait partie de l'univers des jeux de rôles, il arrive qu'à trop souffrir, les joueurs se barrent purement et simplement, physiquement ou mentalement. Déjà, je ne suis pas d'accord avec la couverture, mais je dois avouer que ça intrigue, ça donne envie de le lire.

 

  J'ai appris qui était John Wick via Wikipédia. Grosso modo, c'est un fan de jeu de rôles, créateur de divers jeux, de rôles ou vidéos, et il continue d'oeuvrer pour le bien de la communauté dans ce domaine.

 

  Le bouquin se lit facilement. Je suis un bon lecteur, je crois que je peux me l'avaler en moins d'une heure trente. Mais la division en 11 articles, appelés épisodes, propose une lecture fragmentaire qui n'est pas sans me déplaire. Sans méchanceté aucune, j'appelle ça un "livre de cabinet", c'est-à-dire un bouquin très pratique à emporter aux toilettes, car il se divise en épisodes et en paragraphes.

  Ne voyez aucune critique là-dedans, j'insiste, car ce bouquin a du très bon. Il y a aussi du très mauvais, mais commençons par les points forts, la boîte à idées.

 

 

 

Un livre-boîte à idées

 

  De manière générale, pour un MJ débutant ou quasi débutant, le livre vaut le détour. Il y a beaucoup d'idées, qu'on peut juger bonnes ou mauvaises, mais qui sont immédiatement utilisables. C'est pourquoi ce livre est très intéressant : c'est une caisse à outils efficaces pour un MJ. Cela étant, j'approche le microcospe des deux épisodes qui m'ont semblé très instructifs, plus que les autres, c'est-à-dire les épisodes 3 et 5.

 

  L'épisode 3 se concentre sur la Ville vivante. La ville vivante a été pour moi le meilleur concept du bouquin, parce que je l'ai adaptée dans ma campagne de Dreamland.

  La Ville dans laquelle vos joueurs évoluent obéit souvent à chaque pensée du MJ, se transforme selon les mouvements des joueurs ; elle vit en parallèle. Mais si elle devient vivante, si les joueurs font le boulot à votre place, non seulement ils auront une vue d'ensemble, mais ils verront à quoi ressemble un scénario pensé par le MJ. De plus, ils auront l'impression de faire l'histoire.

 

Recette :

 

  Créez des PNJ. Donnez-leur une certaine importance, des caractéristiques, et surtout des traits de caractère multiples, pour que le joueur choisisse ce qu'il désire. Développez très peu ces PNJ, ne leur donnez aucune voix, consistance ou histoires.

  Donnez-les à vos joueurs. Vous pouvez même choisir tel PNJ pour tel joueur, mais dans mon cas, je les ai laissé choisir, selon les personnages qu'ils "sentaient". Prenez une boisson, une cigarette, et regardez les choses se passer comme au théâtre. Si vos joueurs sont assez imaginatifs et adeptes de l'improvisation déchaînant des éclats de rire, vous passerez la meilleure partie de votre vie.

 

  Je reviendrai sur la ville vivante dans le Donjon du MJ, de manière plus détaillée, avec un exemple et une analyse. Cette trouvaille sauve le bouquin de Wick, selon moi.

 

  L'épisode 5 s'attache à varier les combats. Les conseils que donne l'auteur, s'ils ne sont pas des plus innovants, ont au moins le mérite de proposer plusieurs façons d'aborder les combats en tant que MJ, pour que les joueurs s'amusent. Cacher les points de vie, les combats réalistes et intelligents, séparés de la hantise des points de vie, plus concentrés sur les blessures légères ou graves. Bon, on a affaire à des conseils pour les débutants, je pense qu'un MJ expérimenté n'apprendra rien de nouveau. Je ne vois pas trop ce que viennent faire Sun Tzu et Musashi cités dans le chapitre, pour l'art de la guerre, sinon rendre le jeu de rôles assez sérieux. Un combat peut être mené simplement avec de l'ingénuosité et du bon sens, de la prudence et du sang-froid...

 

  Dans les bons conseils intéressants mais pas forcément très utiles : utilisation des PNJ pour faire mordre la poussière à vos joueurs (le type PNJ-Dieu insupportable) ; l'étude des fiches des personnages pour trouver les points faibles (une banalité, qui devient sadisme chez Wick) ; le retour surprise d'un de vos personnages qui est cette fois joué par un joueur et qui se venge... ; les idées reçues sur les joueurs (ils font le bien...ah bon ? Ils ne sont pas seuls, etc) ; des idées de scénarios assez classiques au final, du genre la bombe à retardement – dont il faut souligner une bonne idée, celle du chronomètre qui tue un joueur par heure au fil de la partie ; du drame, des scénarios avec intensité, des choix impossibles à faire, des courses contre la montre...bref, l'auteur nous raconte ses parties, plus ou moins bien choisies d'ailleurs, pour illustrer ses propos. C'est amusant, divertissant, mais peu ludique, voire didactique.

 

  L'épisode 9 a un certain intérêt. Il aborde l'égalité des personnages, qui est évidemment impossible à trouver. La gestion de récompense suit cette égalité et sur l'effort fourni sur le personnage. Là encore, ça peut aider des débutants, mais franchement j'ai adopté ce système depuis le début, sans qu'on ne me le souffle à l'oreille. Oui, un joueur qui fait 56 pages pour écrire son personnage aura un bonus, voire même plusieurs. Après, il y a de bonnes choses à rappeler pour les jeunes MJ. Wick souligne qu'on ne récompense pas grassement les joueurs qui ont brillé, mais tous les joueurs selon leurs capacités.

 

  J'ai été joueur autour d'une table où mon personnage était en retrait, parce que mage. Je ne pouvais que lancer un ou deux sorts offensifs, qui avaient des chances de louper ou d'être mal lancés...évidemment que les guerriers se battant avec leurs lames me passaient devant en expériences et en niveaux, parce que le MJ ne prenait en compte que les résultats finaux, et jamais ce que le personnage pouvait faire selon ses propres moyens. Cela encourageait l'inégalité, qui se développait en boule de neige au fil des parties. Pour vous dire à quel point cela peut être ironique : le MJ a fait un nouveau système qui satisfaisait tout le monde après quelques parties, et les nouveaux personnages apparus en cours de campagne avaient mon niveau, alors que le mien était là depuis le début. Quand le MJ s'en est aperçu, il a dit que c'était impossible que je sois à ce niveau, niant ce qu'il avait fait pendant 4 à 6 parties...

 

  De la même façon, il est possible pour un MJ de récompenser de plusieurs manières différentes, originales et tout aussi gratifiantes que des bonus d'expériences. J'encouragerai, avec l'auteur, à varier les récompenses, pour ne pas avoir de joueurs qui jouent pour avoir le bonbon de la victoire à la fin d'une partie.

 

  Pour finir, les deux derniers épisodes sont bancals. Le premier, destiné aux joueurs, est bâclé, et le second, qui fait ce que fait Wick depuis le début, c'est-à-dire se lire, s'écouter et s'entendre parler, relate quelques parties et les derniers trucs et les astuces d'un MJ plus ou moins respectable. Son dernier récit, sur le Point de Malveillance (qui peut être dépensé n'importe quand, mais qui est d'une menace telle que la joueuse n'ose rien faire avec...) est encore un truc à utiliser, mais assez criticable dans son utilisation.

 

  L'essentiel à retenir de la boîte à idées/outils que propose John Wick, c'est qu'il livre quelques tours, des secrets, des moyens, et que c'est à vous de bosser avec. En cela, le livre est vraiment réussi ! Mais il y a plusieurs points d'accrochage dans le récit de Wick, qui sont trop importants pour qu'on dise que ce sont des détails, ou des petites crasses de MJ. Certains passages sont presque choquants pour les lecteurs, ce qui doit sans doute beaucoup amuser l'auteur, qui est du genre provoquant. D'après moi, pour un livre de conseils pour MJ, il est passé à côté de l'esprit.

 

 

 

John Wick, un MJ sans scrupules

 

 

  Ca commence assez fort, dans l'épisode 0, où l'auteur nous dit clairement qu'il tue les personnages, c'est un MJ assassin, et il a une réputation à tenir. Bon, on est vite fixé sur le gars, au moins. Premier arrivage d'ego, laissez de la place pour le reste du repas, c'est juste un petit-four.

 

  Mais bon, John Wick définit ce qui est Bien et ce qui est Mal (manichéisme appréciable, quand on débute). Le Mal, c'est un tueur de personnages qui le fait parce qu'il le peut (ou le veut). Tiens, c'est étrange, mais ça me rappelle l'auteur...qui ne manque pas se se placer dans la catégorie du Bien, c'est-à-dire le MJ qui fait souffrir ses joueurs (et donc qui les tue, si on suit la logique de l'épisode 0). Voilà ce qui me gêne avec Wick : il parle sans cesse de ce qui est bon et mauvais, et on peut franchement le prendre à son propre jeu car il passe plus de temps dans la case "Mal" que dans l'autre case...même s'il se justifie, certains comportements sont tout bonnement scandaleux.

 

Petit florilège :

 

Sur la triche.

Il se comporte comme ses joueurs et conseille de tricher mieux qu'eux. Je ne vois pas où se situe le bon sens dans ces réflexions, ni même l'efficacité du conseil. Les joueurs sauront qu'ils ne faut pas tricher avec le MJ, parce que ce dernier est un immense connard. Il est pratique d'avoir ses dés derrière un panneau pour tricher allègremment, mais il est largement plus savoureux de supprimer un personnage gênant en inscrivant sa mort dans le scénario, et en formant un piège impitoyable, ce qui montrera un certain niveau de méchanceté pensée, qui disposera toujours d'une porte de sortie. Dans ma première campagne de Dreamland, voyez-vous, un joueur avait fait un personnage très puissant, très rapide, très agile. Le genre de personnages qui s'enchaîne les combats sans frémir, et qui en rajoute. Il m'avait tué un PNJ largement plus fort que lui, d'une façon salement cruelle (je n'en dirai pas plus, l'émotion me saisit encore quand j'évoque ce souvenir...).

 

  Ce personnage avait reçu des ailes en cadeau. Sympa de ma part. Le groupe est arrivé dans une ville de guêpes humanoïdes, qui leur ont demandé de régler un gros problème : elles ne pouvaient plus s'envoler car des phénix situés au sommet de la montagne surplombant la ville les dévoraient. Dix minutes plus tard, les joueurs se mettent à escalader difficilement la montagne. Le joueur se rend compte qu'il peut voler, et ne pas souffrir de la difficulté de l'escalade. J'ai acquiescé, et un phénix a fait un piqué et l'a chopé en vol. Merci d"avoir joué, ta fiche perso, s'il te plait ?

 

Depuis, je vends dans mes campagnes Dreamland des crèmes anti-phénix, qui ont beaucoup de succès. 

 

 

Sur le traitement de ses joueurs.

Wick devait être un MJ hallucinant pour ses joueurs. Il raconte comment il pénalise un joueur qui connaît les règles par coeur, si jamais ce dernier se trompe. Enlever sa fiche perso, demander de lancer ses dés sans savoir combien il doit en lancer exactement...là, on passe du MJ qui livre de bons outils au MJ punitif qui jubile de voir quelqu'un qui connaît mieux son jeu souffrir du comportement du MJ. Une raison ? Oui, "rien dans les règles n'indique qu'on a pas le droit de faire ça". Okay, Johny Boy, donc tuer arbitrairement un joueur parce qu'il mange trop fort ses chips à l'oignon qui lui refilent une haleine de poney, on a le droit parce que ce n'est pas interdit dans les règles ? Waouh, mais c'est génial d'être un MJ alors !

 

  Il dit clairement qu'il ne prend pas de gants, et qu'il fait ça pour contrôler les joueurs, gérer l'amusement de la table. Louable, certes, mais le dernier exemple fait s'envoler le château de cartes composant les arguments du bonhomme. Il y a un mauvais fond qui exhale parfois de ses propos, une méchanceté gratuite qui ne mène à rien, si ce n'est dégouter un joueur. On peut résumer son comportement à un "tu m'énerves, subis, dégage !".

D'une certaine façon, Wick livre ici un précieux conseil : les enfants, ne faites pas ça chez vous, c'est dangereux.

 

 

Sur le traitement d'un personnage.

La lecture, dans l'épisode 2, de la fin du personnage de Malice, est assez terrible quand on a fait un peu de jeu de rôles. Malice était un très bon personnage, adepte d'arts martiaux, empoisonne tout ce qu'elle touche et, surtout surtout surtout, il faudrait presque le mettre en gras, elle est chanceuse aux dés ! Le grand vilain PNJ n'aimait pas ses manières (comprendre : Wick rageait dans son coin d'un personnage qui mettait à mal son scénario), et donc lui a préparé une petite surprise. Attention, je n'ai rien contre la mise en place d'un piège contre un joueur, cela fait partie des choses que j'adore faire en tant que MJ, sauf que je place toujours une porte de sortie. Là, Wick, sous le couvert d'un PNJ-Dieu-tout-Puissant, se permet de détruite/désintégrer un personnage en prenant le prétexte du scénario.

Revenons à Malice. Malice est une super-héroïne et dans la vie civile, elle s'occupe de sa grand-mère. Grand-mère policière, qui la traque donc parce que ça donne dans le drame. Malice prépare l'anniversaire de sa grand-mère, un vilain arrive, la paralyse et lui enlève son masque pour la balancer devant mamie dont le coeur claque sur le moment. Malice rend sa fiche, circulez y'a rien à voir.

Voilà ! Voilà ce qui est détestable chez John Wick. Non seulement son piège a la finesse d'une équipe de rugby visant un bébé de deux ans, mais il se sert d'une logique de scénario pour pouvoir tout justifier. On peut faire souffrir ses joueurs, mais pas les humilier en ne faisant aucun effort. Là, aucune porte de sortie ne s'offrait à Malice : rayon paralysant, masque enlevé, devant ta grand-mère, BIM ! Il faut comprendre que derrière ça, il y a une logique de MJ...on peut traduire par : tu n'as plus ta chance aux dés, tes techniques sont inefficaces, je te paralyse pour bien annihiler ton pouvoir, je t'enlève ce qui fait tout ton personnage : l'anonymat, la double vie, et je te balance devant ta grand-mère, détruisant toute ta vie. Alors, heureuse ?

Et il rajoute : ce qui est important, ce n'est pas les coups dans la gueule, c'est comment on s'en relève. Mec, tu as détruit un personnage, pas seulement son rp, mais ce qui faisait que c'était un super-héros. Socialement, tu as brisé quelqu'un de la manière la plus vile et la plus facile, parce que ça ne te plaisait pas, et que tu en avais le pouvoir. Il conclue en disant que les joueurs doivent se relever, que c'est ça qui forme un héros, que les autres ne sont que des lâcheurs (on retrouve ce manichéisme : les vrais et les mauvais héros...). Je me demande toujours comment il aurait réagi si c'était son personnage, son background, sa grand-mère...il aurait sûrement faire pareil, en traitant le MJ d'enfoiré. Alors oui, on se forge une sacrée réputation, c'est certain, mais est-elle seulement bonne ?

 

Une dernière pour la route :

 

  A la lecture de ses articles, des gens disent à John Wick qu'il écrit "plutôt pas mal". Sa réponse est franche et directe : "Je n'écris pas "plutôt pas mal". J'écris bien, un point c'est tout."

 

  Rien que ça...rien que ça, ça m'énerve. Non seulement le type écrit comme il doit parler, c'est-à-dire qu'il ne fait aucun véritable effort littéraire, mais en plus il conclue comme si c'était une évidence, dont personne ne peut douter. Au delà de la critique littéraire qu'on pourrait très honnêtement lui adresser sans sourciller, je trouve qu'un MJ qui sort ce genre de phrases n'invite pas à jouer avec lui. Parce que le doute n'est pas permis, les remises en cause n'auront pas lieu. Un bon MJ doit se repasser le fil de ses parties et voir ses mauvais travers, les comprendre, les analyser pour les changer. Comme dans l'écriture, un effort d'amélioration est constamment à fournir. On n'écrit jamais bien, sauf si on se compare à de mauvais écrivains.

 

  L'un des soucis du livre, au-delà du Jeu de Rôles, est à mon avis l'ego un peu trop présent de l'auteur, qui pense toujours qu'il a raison, que ce qu'il fait est la bonne solution. Il a incontestablement d'excellentes idées, mais également des travers énormes qui ne méritent pas qu'on en parle. Peut-être que le récit de parties rend la personne exécrable, peut-être aussi qu'il est trop nostalgique et qu'il a confiance en lui, mais ce livre comporte une partie assez détestable, qui ne donne pas envie de connaître le personnage, ni même de jouer à ses parties. C'est fort dommage, car il y a de l'expérience et de l'amusement, mais à trop jouer le jeu du mensonge, de la triche, de la suppression de personnages sous couvert de prétextes idiots, John Wick montre un rôle de MJ qui est, selon moi, loin d'être le plus appréciable, et le plus efficace.

 

  Je conseille cependant la lecture de son livre. Bon, 15 euros pour un livret minuscule, c'est clairement de l'abus, mais c'est instructif, sur ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Lisez ce livre, faites votre propre jugement, et créez de génialissimes parties. Je crois que c'est ce qu'il faut retenir du bouquin. Rien n'est figé, c'est un outil, une aide, autant que le témoignage d'un homme. Avec le temps et l'expérience, vous verrez les défauts et les points forts de l'ouvrage, et vous pourrez à votre tour proposer vos propres conseils et vous raconter avec le sourire.

 

 

PS. Le livre se finit sur deux règles

 

1. Il n'y a pas de règles

2. Trichez quand même.

 

De la part d'un type qui crée des jeux de rôles, des bouquins de règles, je trouve ça fort. Et la tricherie, ici comme partout, peut nuire au jeu. Comme pour l'alcool, c'est à consommer avec modération...un peu comme les ouvrages de John Wick.

 

Jeux de rôle, Les forges de la fiction par Olivier Caïra

Sociologie et didactique pratiques des jeux de rôles

Samedi 04 Septembre 2014

 

  Au menu de cet article : Olivier Caïra et son ouvrage Jeux de rôles, Les forges de la fiction, paru en 2007 aux éditions du CNRS. L’auteur est un sociologue, chercheur à l’EHESS, l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, qui se concentre autour de l’industrie du spectacle, du cinéma notamment, et des théories de la fiction, ce qui l’amène à proposer une étude du jeu de rôles complète, riche, documentée et surtout vécue.

 

 

J’ai si peu de critiques négatives à adresser à son étude que je vous propose quelques bonnes raisons de lire Olivier Caïra.

 

 

- Globalement, l’ouvrage est d’une objectivité intéressante, c’est-à-dire qu’elle écartes les jugements, les critiques infondées ou encore les rumeurs et autres fantasmes autour du jeu de rôles. Il est vu exactement comme il est, c’est-à-dire un divertissement, des créations, un groupe social.  On peut dès lors en comprendre les rouages, le fonctionnement et son intérêt.

 

 

- L’historique du jeu de rôles est très référencé. Du war games à la med-fantasy, suivis de la science fiction et la diversité des jeux proposés, l’auteur retrace un parcours en insistant sur les grands titres fondateurs de l’activité, les moments-clés mais aussi la place de l’édition, de la communauté des rôlistes. Il donne ainsi un bon panorama de ce qu’est le jeu de rôles aujourd’hui.

 

 

  - Le bouquin s’adresse à tous les rôlistes, du débutant au confirmé, par une séparation intelligente et cohérente en chapitres . L’ouvrage est construit, pensé, et conduit les différents types de lecteurs sans difficultés.

 

 

  - Il présente tous les aspects du jeu de rôles, on pourrait même dire « d’un jeu de rôles Â». Car toutes les bases sont expliquées dans le détail, justifiées, argumentées avec précision. Peut-être un peu rapidement sur certains passages plus importants, mais on suppose une contrainte de pages pour l’auteur. Il arrive toutefois à être rapidement clair et surtout efficace dans ses développements, ce qui rend son ouvrage quasiment essentiel si on veut débuter dans le jeu de rôles, ou même réfléchir sur le sujet. Sa présentation de ce qu’est le jeu de rôles mettra sans doute des pendules à l’heure, donnera des idées ou motivera une bande d’amis à réaliser une partie en suivant un guide utile.

 

 

  - L’ethnographie d’une partie est intéressante pour des débutants, simplement amusante pour des confirmés. Il arrive à s’adresser à tous les lecteurs, à tirer de bonnes conclusions et à exposer une partie simple, rapide et efficace, qui contient les éléments nécessaires à son bon déroulement.

 

 

  - A partir du Chapitre VI, l’analyse devient plus poussée et permet de transformer le livre de sociologie en livre de conseils pratiques (un peu comme nous le faisons sur Rollplayers). Les chapitres parlent à tous les joueurs, tous les MJ, et donnent soit à réfléchir , soit à rire sur divers éléments sûrement déjà rencontrés par les lecteurs durant leurs parties. Olivier Caïra aborde la question des outils nécessaires, les encyclopédies du jeu, les normes, la communication, l’importance du dialogue au sein du groupe. Le chapitre revenant sur le jeu est peut-être mal placé, mais permet de revenir aux définitions, à des références comme Huizinga. Enfin la partie sur les exigences est selon moi à la fois la plus intéressante et la plus criticable – j’y reviendrai à la fin.

 

 

  - L’ouvrage est parsemé de petits carrés qui exposent des jeux de rôles à succès, des grands noms ou des systèmes de jeux. Ils servent également le propos de l’auteur, mais ils lancent surtout sur des pistes, des idées, des interrogations et des reprises. On en apprend davantage, on étend sa culture rôlistique, et ils font réfléchir sur les normes, les règles, et les différentes manières d’appréhender le fonctionnement d’un jeu ou l’organisation d’un univers.

 

 

  - Il y a énormément de notes en bas de page, qui signent l’ouvrage universitaire…comme d’habitude pour ce genre d’ouvrage, je trouve que certaines notes prennent trop de place, emmènent trop loin par rapport au sujet, mais certaines sont très utiles, pertinentes et permettent de lancer le lecteur sur une multitude de pistes de recherche. La bibliographie est conséquente et sera sûrement épluchée par mes soins pour vous donner d’autres critiques autour du jeu de rôles.

 

 

 

  Pour conclure, je conseille évidemment l’ouvrage à tous les rôlistes qui cherchent à se perfectionner, à tous les débutants qui veulent réussir leurs premières parties, à tous les joueurs qui se posent des questions sur la façon de jouer un personnage, à tous les MJ qui hésitent à lancer leurs parties.

Le livre donne une confiance en soi, des conseils très utiles, des outils et les moyens d’analyser les tenants et les aboutissants d’une partie. Le prix d’achat du bouquin est très correct pour ce qu’il propose (John Wick, si tu nous lis…), sachant qu’on peut le trouver en occasion à un prix tout à fait abordable, pour ne pas dire bradé.

Pour moi, le bouquin est à avoir dans sa bibliothèque, si on prétend être un bon rôliste. Sans faire de sociologie, il lance sur énormément de pistes, il est complet et exact, quasiment sans failles. Une vraie perle qui mérite qu’on en parle davantage !

 

Seuls petits bémols : des évidences (le plan d’une table lors d’un jeu de rôles…bon, pourquoi pas), et le chapitre sur les exigences, qui n’est pas mauvais, mais qui est, je crois, le plus criticable, car l’auteur donne les meilleurs conseils pratiques (ce que nous faisons sur Rollplayers, par ailleurs), très rapidement, et en listant les figures de l’excellence ou de la médiocrité. Je vois l’intérêt de lister les comportements de joueur ou de MJ, mais la façon de présenter « le grand Â», « le petit Â», « le mauvais grand Â» me semble un peu étrange. On sort de la pertinence pour parler des joueurs, sans que ça apporte quoi que ce soit, à part peut-être pour les lecteurs, se rendre compte d’un comportement déjà pratiqué, et « châtier les mÅ“urs Â», à l’image de la comédie…je reste sceptique, malgré l’amusement procuré, doublé d’une certaine nostalgie.

 

 

  Je pense que nous suivrons les publications à venir d’Oliver Caïra, et j’en parlerai le moment venu ici-même.

 

 En attendant, filez récupérer l’ouvrage où que ce soit, et faites rouler les dés, car, il faut bien le dire en conclusion, on a envie de faire une partie après une telle lecture !

 

 

 

PS. Si Olivier Caïra parle de "jeux de rôle", je mettrai toujours un pluriel à "rôle", pauvre MJ que je suis...

 

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